L’intérêt de la Marine Nationale pour la construction de deux « Statsraad Lehmkuhl » destinés à la formation des élèves-officiers dans le cadre d’un « Erasmus Colombus », c'est-à-dire un « Erasmus des Ecoles Navales », m’a été confirmé par le Contre-amiral Pierre Soudan, directeur de l’Ecole Navale, qui m’a invité récemment à lui présenter ce projet à la base de Lanvéoc.
Cette proposition est étudiée par le Secrétariat général de la mer pour l’ensemble des conséquences positives qu’elle aurait pour l’influence maritime de la France.
La rencontre au Poulmic a été très fructueuse puisqu’elle a permis à l’amiral Soudan, et aux officiers responsables de l’enseignement à l’Ecole Navale, de prendre conscience de l’ambition du projet Euroclippers et d’envisager un certain nombre d’hypothèses adaptées à l’Ecole et à la Marine.
Ces navires apporteraient, de plus, à la Marine Nationale un puissant outil de communication auprès des Français, et des Françaises, toujours très attirés par les grands voiliers comme le montre la popularité des rassemblements de Brest et de Rouen.
Le « Statsraad Lehmkuhl »
Mais la question principale reste celle-ci : COMBIEN COÛTERAIENT DEUX « STATSRAAD LEHMKUHL » ?
Afin de répondre à cette interrogation vous trouverez ci-dessous quelques estimations ainsi que quelques possibilités d’armement des navires :
1/ Construction
Les coûts de développement de ce projet sont relativement importants puisque la construction de deux navires représente un investissement d’environ 40 millions d’euros par voilier, soit un total de près de 80 millions d’euros. Les chantiers STX de Saint-Nazaire sont à même d’apporter des précisons sur cette première évaluation.
La construction de deux voiliers entraînerait, par effet de série, une réduction de près de 15% sur le coût à la construction de chaque navire.
La durée de l’armement de ce type de navire doit être prévue pour environ 95 ans ; car je rappelle que le « Statsraad Lehmkuhl » a été lancé en 1914 et est toujours parfaitement opérationnel.
L’investissement n’est pas négligeable, mais il est tout à fait dans les moyens de la France.
2/ Charges d’armement
Par navire, les charges équipages de deux navires sont plus faibles que pour un seul.
En effet, si pour un navire unique il faut deux équipages, pour deux navires il faut trois équipages (en comptant une moyenne annuelle de 220 jours de mer par équipage), ce qui représente une économie de près de 30% pour chaque voilier.
Les charges d’armement annuel d’un grand voilier comme le « Statsraad Lehmkuhl » peuvent être définies avec précision car ce voilier est très proche du « Gorch Fock », voilier-école de la Marine allemande.
Vous pouvez comparer, ci-dessous, les caractéristiques de ces deux trois-mâts barque :
Le « Statsraad Lehmkuhl »
Le « Statsraad Lehmkuhl » a été lancé le 14 Janvier 1914 au chantier naval Johann C. Tecklenborg AG de Bremerhaven-Geestemünde. Ses noms antérieurs sont «Friedrich Grossherzog » (1914-1923) et «Westwärts» (1940-1945). Caractéristiques : trois-mâts barque à coque acier ; longueur hors tout : 98,00 m ; longueur de coque : 84,60 m ; longueur à la flottaison : 73,00 m ; largeur : 12,60 m ; hauteur maximale : 48,00 m ; tirant d'eau : 5,20 m ; tonnage brut : 1 516 t ; nombre de voiles : 22 ; surface de la voilure : 2.026 m2 ; nombre maximum de stagiaires pour les croisières-écoles : 150 ; port d’attache Bergen.
Le « Gorch Fock »
Le « Gorch Fock » a été lancé par le chantier naval Blohm & Voss de Hambourg, le 23 août 1958. Caractéristiques : trois-mâts barque à coque acier; longueur hors tout : 89,30 m; longueur au pont : 81,20 m; largeur : 12 m; tirant d’eau : 5,25 m; hauteur du grand mât : 45,30 m; surface de voilure : 2037 m2; nombre de voiles : 23; déplacement : 1760 t; Équipage et cadets : 220 personnes à bord; port d’attache Kiel.
La Marine Nationale a développé des échanges depuis quinze ans avec la Deutsche Marine et il devrait être possible d’obtenir des informations sur les charges équipages et les charges de fonctionnement comme les assurances, les vivres, les équipements individuels (habits, harnais), la consommation annuelle de gas-oil, la périodicité du changement des voiles et des manœuvres, les réparations, etc…
Si la Marine allemande a eu les moyens d’armer pendant 50 ans le « Gorch Fock », nous devrions pouvoir faire pareil, et même mieux, si l’on prend en compte le nécessaire développement de la coopération entre les Marines de la planète.
3/ Des matelots et officiers « volontaires des armées »
Les risques inhérents à la navigation à bord d’un grand voilier (grimper dans la mâture) nécessitent un équipage nombreux afin que les stagiaires soient encadrés dans les meilleures conditions de sécurité.
Le nombre particulièrement élevé de membres d’équipage, et le coût induit, est en effet le principal obstacle à la réalisation de ce type de projet.
Une réduction non négligeable des charges équipages devrait être possible si des « volontaires des Armées » embarquent en tant que matelots ou officiers.
Le statut de « Volontaire des Armées » est peu connu du public mais il est possible de prendre connaissance de cette possibilité dans l’étude « Faut-il instituer un service civil obligatoire ? »rédigée (2006) par l’Amiral Alain Béreau, ancien inspecteur général des armées.
Je reprends un extrait : « Il a été jugé souhaitable de conserver une possibilité pour les jeunes de se porter volontaires pour un service militaire. Les jeunes gens intéressés (entre 18 ans et 24 ans) souscrivent un volontariat d’un an, renouvelable quatre fois (soit au total soixante mois de volontariat). Ils sont soumis au statut général des militaires. Ils perçoivent une solde d’environ 730 euros par mois (hors indemnités particulières)… Les armées emploient ainsi un peu plus de 20 000 volontaires dans leurs rangs, dont les trois quarts dans la gendarmerie (respectivement 1 900 dans l’armée de terre, 1 400 dans la marine, 1 200 dans l’armée de l’air et 15 200 dans la gendarmerie). 7 500 volontaires ont été recrutés en 2004. Les intéressés restent en moyenne trois ans en qualité de volontaires ; pour nombre d’entre eux il s’agit d’une solution en attente d’un véritable recrutement, souvent parce qu’ils n’ont pas initialement le niveau requis et que le volontariat sera ainsi l’occasion de faire leurs preuves. C’est particulièrement le cas des volontaires de la gendarmerie… L’expérience acquise au cours du volontariat peut être validée au titre des acquis professionnels en vue d’obtenir un diplôme technologique et professionnel ».
Cette possibilité permettrait de réduire sensiblement les charges équipages et il serait intéressant de savoir si la Marine allemande embarque des appelés du contingent sur le « Gorch Fock » car le service militaire existe toujours en Allemagne (parallèlement à un service civil /200 000 jeunes par an).
Gorch Fock
4/ Les subventions Erasmus et les autres possibilités de subventions
Il faut souligner que des navigations communes avec des élèves officiers étrangers devraient bénéficier des fonds européens, au titre d’Erasmus, ou encore des fonds de l’OTAN au titre de la formation et des échanges interarmées dans le cadre du développement de la coopération internationale.
A titre d’exemple, le nouveau secrétaire général de l'OTAN, et ancien Premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, a affirmé le lundi 4 avril 2009, à Istanbul, sa volonté de développer la coopération et les échanges avec le monde musulman.
Je dois souligner que des grands voiliers du type « Statsraad Lehmkuhl » (ou autre) permettraient de développer les échanges avec les Marines des pays musulmans. Les financements devraient bien sûr être garantis. Faut-il souligner que dans la religion musulmane « Le trône de Dieu était sur l’eau » (la mosquée de Casablanca est construite au-dessus de la mer pour cette raison) et que la navigation à bord de grands voiliers pourrait être prisée par les jeunes musulmans?...
Statsraad Lehmkuhl
C'est-à-dire que le développement d’un « Erasmus Colombus » devrait pouvoir être financé en partie par des programmes internationaux, civils et militaires, et rendre ainsi ce projet particulièrement attractif pour la Marine Nationale.
Les études sur ces possibilités seront longues car il y a de nombreuses possibilités qui pourraient apparaître (ex : Programme Interreg).
La possibilité de bénéficier de subventions par les ports et les régions visitées lors des escales ne doit pas être négligée car les collectivités territoriales tirent un bénéfice touristique certain lors de la présence de grands voiliers.
5/ Les autres écoles de la Marine Nationale
Si deux « Statsraad Lehmkuhl » seraient adaptés à la formation des officiers de la Marine Nationale des programmes de formation complémentaire pourraient être définis pour les élèves des autres écoles de la Marine.
Ainsi ces navires pourraient être armés afin de former les élèves de :
l’Ecole de manœuvre et de navigation (EMN), école d’équipage héritière de l’école des gabiers et qui est chargée de la formation de l’ensemble des spécialités à dominante nautique. Elle accueille aujourd’hui environ 500 élèves par an.
L’Ecole militaire de la flotte qui délivre une formation adaptée aux officiers de marine ou aux officiers spécialisés de la marine issus du recrutement interne.
L’Ecole des mousses , qui, vingt et un ans après sa fermeture en 1988, va rouvrir ses portes à Brest, en septembre 2009, sur le site du Centre d'instruction naval(CIN) avec 150 garçons et filles de 16 à 17 ans.
Jeunes matelots au CIN
Crédit : Marine nationale
6/ L’Etablissement Public d’Insertion de la Défense (EPIDE)
La mission de l'EPIDEest d'assurer l'insertion sociale et professionnelle de jeunes, âgés entre 18 et 22 ans, en difficulté scolaire, sans qualification ni emploi, en risque de marginalisation, et volontaires au terme d'un projet éducatif global. Les besoins sont importants car les journées d’appel de préparation pour la défense (JAPD) permettent d’identifier chaque année environ 60 000 jeunes en difficulté sur 800 000.
La possibilité d’embarquer à bord de grands voiliers serait extrêmement gratifiante pour des jeunes qui ont besoin d’être reconnus, d’avoir une responsabilité sociale, de découvrir un milieu fort, et, en fait, de trouver une nouvelle famille capable de les structurer d’une façon saine.
Il serait même possible de compter sur des anciens de la Marine Nationale, de la Marine Marchande et de la Pêche, pour encadrer ces jeunes et réduire les coûts équipages. Une telle action sociale est déjà réalisée par l’association « Les Clippers de France » qui encadre des jeunes, notamment ceux de l’APIDE, par des « Seniors », suivant en cela l’idée du Vice-Amiral d’Escadre Charles-Henri Méchet.
Gabiers à bord du « Gorch Fock »
Crédit : Bundeswehr
7/ Une dimension océanographique
Les navires proposés, de 84 mètres de longueur au pont, sont suffisamment vastes pour contenir un laboratoire de biologie marine doté des meilleures installations scientifiques (ex : chromatographie en phase gazeuse) permettant une analyse en continu de la pollution des océans, de la température, de la salinité, du PH, etc… et cette possibilité doit être étudiée.
Une telle dimension océanographique pourrait être développée en partenariat avec l’IFREMER, ainsi que par les universités, et apporterait à la recherche océanographique française des moyens supplémentaires tout en sensibilisant les équipages, et le public, sur la nécessité de sauvegarder les océans.
La surveillance de notre environnement est vitale pour l’avenir de l’humanité car, comme le souligne l’astrophysicien Roger-Maurice Bonnet « la Terre est notre vaisseau spatial et nous n’aurons pas de planète de secours ».
Il est de notre devoir d’apporter une surveillance constante à l’état de notre biosphère, et en particulier l’état des océans, et c’est ce que fait déjà la Marine Nationale avec ses navires océanographiquescomme le Beautemps-Beaupré.
Le Beautemps-Beaupré
Crédit : Marine nationale
L’installation d’un laboratoire océanographique à bord de deux « Statsraad Lehmkuhl » armés par la Marine Nationale serait ainsi en continuité avec les missions de service public de la Marine qui s’est déjà fortement investie dans la recherche océanographique ainsi que dans la lutte contre la pollution maritime.
CONCLUSION
Je vous ai présenté un ensemble de propositions (liste non exhaustive) et d’études qui méritent, bien sûr, un développement approfondi, mais l’intérêt manifesté par l’Amiral Pierre Soudan, ainsi que par les officiers responsables de l’enseignement à l’Ecole Navale, rend tout à fait possible d’envisager la construction de deux « Statsraad Lehmkuhl » destinés aux écoles de la Marine Nationale ainsi qu’au développement de la coopération avec les autres Marines de la planète.
De plus, la construction de deux grands voiliers-écoles, accessibles aux jeunes Français, et aux jeunes Françaises, serait extrêmement bien perçue par le public en raison d’une crise économique majeure, particulièrement déstabilisatrice, où les jeunes, et les moins jeunes, ont besoin de retrouver des repères, et des valeurs.
Jean-Charles Duboc
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