L’ambition du projet Euroclippers est de développer la formation humaine des jeunes Européens par la navigation océanique, en équipage, à bord de grands voiliers.
La ‘formation humaine des jeunes’ c’est l’acquisition de valeurs morales et comportementales qui garantiront que le principal but de la société soit bien l’Être humain en tant que tel.
Aussi, je me permets de reproduire un exposé du contre-amiral Pierre Soudan, commandant et directeur de l’Ecole navale, qui a participé à l’Institut Catholique de Paris, le mardi 4 novembre 2008, à une table ronde organisée par le Centre d’Etudes de la Mer (CETMER) ainsi que par l’Institut Français de la Mer (IFM) et dont le thème était ‘LES VALEURS DE LA MER’.
Aux côtés du contre-amiral Pierre Soudan se sont retrouvés Françoise Odier, présidente de l'Association française de droit maritime, Chantal Reynier, professeur d'exégèse biblique au Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris), ainsi que le contre-amiral Olivier Lajous, conseiller militaire à la défense auprès du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer.
Cet événement est le premier d’un cycle de 11 soirée-débats qui seront un rendez-vous régulier des Français avec la mer.
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Parler des « valeurs de la mer » est aujourd’hui chose assez courante, au même titre que l’on parle de « valeurs de la terre » ou de « valeurs de la montagne ».
Pourtant, parler de valeurs propres à un environnement naturel a quelque chose de paradoxal. En effet, la notion de « valeur » est une notion culturelle propre à une société. On entend généralement par là, le système des croyances, des convictions de cette société dans des domaines aussi variés que l’éthique, la morale, la politique, la religion ou encore l’esthétique.
Parler des « valeurs de la mer » conduit donc à penser qu’un élément naturel puisse être porteur des valeurs d’une société, c’est à dire d’éléments strictement culturels. Le paradoxe s’accroît lorsque l’on observe que la mer n’est généralement pas considérée comme un lieu de vie pour l’homme, mais plutôt comme un environnement hostile, qui n’est pas son environnement naturel, et qui n’est pas le lieu de sa vie en société dans le sens ordinaire que nous donnons à cette notion.
La mythologie grecque associe ainsi à la mer le dieu Poséidon, dieu de la force brutale, des éléments déchaînés, image terrifiante d’une violence sans limites. Les Grecs antiques avaient coutume de dire qu’il y avait trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et les marins. Ainsi, ceux qui vivent sur mer ne seraient-ils pas tout à fait des hommes ?
Les valeurs de la mer, il faut en être absolument persuadé, sont au contraire profondément humaines :
Déclinons donc en forme d’acrostiche l’adjectif « humaine » qui caractérise le mieux l’ensemble des valeurs de la mer.
Humilité : venant du mot latin humus, l’humilité pourrait être considérée comme une vertu terrienne. Et pourtant, elle s’oppose à l’arrogance, à la suffisance et à l’orgueil. La personne humble est celle qui reconnaît ses limites et sa fragilité.
C’est là que l’humilité devient maritime. Tout marin est bien obligé de reconnaître sa fragilité humaine face à la puissance de l’Océan.
Celui qui navigue sait bien sûr que même à notre époque, le plus puissant des navires doit composer avec la mer. Être humble c’est accepter les lois naturelles qu’on ne peut contrôler : la mer est bien une leçon d’humilité (il suffit d’écouter toutes les déclarations des plus grands navigateurs avant le départ de la célèbre course du « Vendée Globe »).
Union : Vivre ou survivre, en mer : la mer apprend ainsi à tous l’humilité face aux éléments, mais aussi la solidarité dans l’adversité. La fortune de mer fait rarement de différences entre les différents membres d’un équipage… Notons en passant que cette solidarité s’étend, théoriquement, aux gens de mer entre eux.
Remplir une mission n’est possible que si les membres d’équipage sont très unis. Ce groupe forme alors un ensemble cohérent. Mais au-delà de l’équipe, la mer est surtout un trait d’union entre les hommes. C’est de plus en plus vrai à l’heure de la mondialisation.
Depuis l’Antiquité, la mer est la voie commerciale par excellence. Aujourd’hui, plus de 80% des marchandises transitent par mer, mais au cours de l’histoire, tous les peuples commerçants furent des marins : chinois, portugais, britanniques…Alfred Thayer Mahan avait d’ailleurs parfaitement théorisé cette absolue nécessité de contrôler et protéger les espaces maritimes (The influence of sea power upon history).
Mère : Trait d’Union entre les hommes, la mer est le principal lieu des ressources permettant la vie. Comme l’écrit Michel Serres, philosophe, académicien : « La mer vie, vitale, vivace, mère première des espèces vivantes… » Et si la mer était la vie comme l’est une mère ?
Altruisme : Nous avons déjà parlé de la solidarité, de la nécessaire union des hommes. Au sein d’un équipage, l’intérêt de l’individu doit s’effacer devant celui de la communauté. Ce désintéressement personnel est une sorte d’altruisme qui est indispensable à la vie en mer. Dans ‘Le nègre du Narcisse’, Joseph Conrad relate la dislocation d’un équipage et la mise en danger d’un navire par le seul égoïsme d’un de ses membres.
Indépendance : Alors la vie en mer serait presque « monastique » (le marin affirme sa vocation face à l’immensité des espaces maritimes), enfermée dans un lieu clos ? Au contraire, elle est formidablement libre, même pour un sous-marinier. C’est un lieu de circulation, un espace de liberté, hors des contraintes frontalières. Ses seules limites sont la terre et les conditions météorologiques.
Novateur : C’est une qualité qui correspond bien au personnel de la Marine Nationale. La navigation a souvent été source de découvertes scientifiques et d’innovation. Une fois les amarres larguées, la réelle situation d’autonomie du bateau et de son équipage impose d’innover pour gagner en endurance sur une longue navigation. Par ailleurs, c’est par la mer que l’homme a découvert le monde et cela ne s’est pas fait d’ailleurs sans une réelle audace.
Aujourd’hui encore, le monde maritime est formidablement innovant. Et cette valeur va bien à l’Ecole navale, classée dans le peloton de tête des grandes écoles les plus innovantes.
Equipage : La notion d’équipe (nous parlons dans la Marine Nationale d’esprit d’équipage) est bien sûr au cœur des valeurs de la mer. Le marin ne peut pas être un héros isolé des temps modernes, porteur individuel de valeurs qui lui sont chères (le goût de l’effort, le courage…).
Son action ne se conçoit qu’en équipage, dans le cadre collectif d’une mission partagée et bien sentie par tous. Un navire de combat moderne n’est rien sans un équipage uni, soudé et solidaire.
Dans un monde qui est souvent bâti sur l’individualisme, pour ne pas dire une certaine forme d’autisme, la mer enseigne des valeurs profondément humaines car l’homme n’est pas un animal solitaire : nous retrouvons là les notions de sens du partage, sens du bien commun, de vie en communauté.
« Valeurs de la mer », une notion qui ne va pas de soi…
C’est dans le contact avec cet élément perçu à l’origine comme hostile que l’homme a développé un système de valeurs sociales propre à la micro-société que constituent les membres d’un équipage.
Ces valeurs qui guident l’action des marins se sont formées au fil des siècles et ont ceci de particulier qu’elles ne connaissent pas les frontières culturelles des valeurs sociales ordinaires.
La mer est un environnement dans lequel les valeurs ne sont pas propres à une nation donnée, contrairement à ce que l’on peut observer sur terre. Parmi les valeurs de la mer et des marins, l’attachement à la liberté doit figurer en bonne place.
Il appartient aux marines de garantir la liberté de circulation sur les mers, mais aussi de les protéger contre les agressions dont elles peuvent être victimes.
On peut affirmer, en reprenant les mots de Michel Serres, que les marins, les « chevaliers de la mer » du 21ème siècle devront porter dans leur cœur les valeurs que développe cet environnement pour défendre la mer contre les agressions dont elle est victime et dont sont victimes ceux qui la parcourent.
Mais défendre ces valeurs, c’est aussi défendre une certaine vision de l’homme. Défendre la mer, c’est donc aussi défendre des valeurs éminemment d’actualité dont nos sociétés ont aujourd’hui besoin.
CA Pierre Soudan
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