Comment les banques blanchissent (IV/IV)
16 décembre 2012
Audition de M. Joël BUCHER (suite IV/IV)
Ancien directeur général adjoint de la Société Générale à Taipeh
(procès-verbal de la séance du jeudi 22 mars 2001)
Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur
Présidence de la commission parlementaire : Vincent PEILLON…
M. le Rapporteur : Ne vous fâchez pas : j'ai juste dit que je ne comprenais pas votre position...
M. Joël BUCHER : J'étais cadre à la Société Générale, bien payé, je faisais un boulot que j'estimais être honorable et je me suis trouvé pris dans une affaire absolument invraisemblable.
Je me retrouve à Cannes avec un fils qui ne parle pas français puisqu'il allait à l'école américaine. Du jour au lendemain, me voilà donc interdit de chéquier avec les frais de la maison que la Société Générale était chargée de me donner.
M. le Rapporteur : Je comprends, ne vous justifiez pas, mais vous avez été recruté par qui ?
M. Joël BUCHER : Je n'ai pas été recruté, mais contacté par des « grenouilleurs » - passez-moi le terme - de Monaco qui, me sachant en difficulté, ont essayé de me faire sombrer dans l'illégalité. M. Renucci chez Pastor de la Grande Loge Maçonnique.
M. le Rapporteur : Ah, c'est cela ! Et comment s'y sont-ils pris ?
M. Joël BUCHER : Vous savez c'est un petit milieu. Je devais être directeur de la Société Générale à Cannes, j'ai reçu des coups de fil, j'ai vu des Grecs, des Turcs et on a pris peur...
Ce milieu de Cannes est très brillant, mais vous ne pouvez pas savoir le nombre de requins qui y grouillent.
M. le Rapporteur : Expliquez-moi, puisque vous parlez de Grecs et de Turcs, ce que l'on vous proposait, ou demandait.
M. Joël BUCHER : Des sociétés financières comme Pastor m'ont contacté par l'intermédiaire de francs-maçons...
M. le Rapporteur : Vous en êtes vous-même ?
M. Joël BUCHER : Absolument pas ! Mais, durant cette année que je considère comme sabbatique, j'ai pu « phosphorer », écrire et faire des schémas dont l'un représentait un Yin et un Yang entourés d'un triangle. J'ai eu le malheur de le distribuer à des amis avec qui je voulais fonder une société, un club d'affaires pour promouvoir la France sans magouilles. J'avais dans l'idée qu'avec la technologie française et la subtilité de la compensation chinoise, il était possible de faire une joint-venture et de compenser entre nous les opérations.
C'est à partir de là que les gens se sont dit qu'ils allaient compenser leurs commissions et que le groupe Pastor m'a proposé de travailler pour lui.
M. le Rapporteur : Il vous a embauché, signé un contrat ?
M. Joël BUCHER : Précisément pas !
Tout était bien trouble puisque l'on me demandait de prouver que j'étais capable de faire quelque chose, moyennant quoi je recevrais des commissions.
C'est ainsi que M. Pierre Bloch m'emmène à Taiwan, à Doubaï, me signe un contrat avec l'Immobilière hôtelière, que je lui obtiens un marché, mais qu'il ne me paye pas...
Ce qui est vicieux dans ce monde, aujourd'hui, c'est qu'on vous fait miroiter des commissions puisque tout se fait à base de commissions. On vous établit même des contrats : Je pourrais vous communiquer celui qui a été signé avec l'Immobilière hôtelière. En l'occurrence, j'ai trouvé et construit un projet de 110 millions de dollars, j'ai bâti un montage, je ne me suis pas contenté de présenter un Cheikh (M. Nahyan). Mais alors qu'un contrat est signé avec des honoraires, une fois le projet réalisé, vous ne voyez rien venir et la société disparaît, ce qui revient à dire que vous avez perdu deux années de votre vie à travailler pour rien !
Voilà quelle est la mentalité des affaires ! Voilà où vous mènent les commissions parce qu'aujourd'hui, on ne veut pas payer des honoraires.
J'ai une lettre de Panhard à qui j'ai trouvé un marché de plusieurs milliards de francs pour le GIAT - Groupement industriel des armements terrestres - mais ces gens me proposent des commissions. Je réponds que je n'en veux pas, que je vends des informations. Je leur ai fait signer une lettre d'intention et Taiwan est prête à acheter plus de mille véhicules : La lettre d'intention est sur le bureau des responsables de Panhard depuis plusieurs mois. Que veulent-ils ? Me payer avec des commissions et probablement avec des commissions plus importantes que la moyenne.
Voilà comment on finit quand on est un banquier honnête ! Quand vous êtes un banquier honnête et que vous refusez les commissions - excusez-moi d'avoir, tout à l'heure, explosé - si vous ne vous battez pas, vous êtes mort !
Aujourd'hui, Taiwan continue à acheter des Airbus et je vends mille emplois à Taipeh sans aucun problème.
À Taipeh, je suis reçu par le ministre de l'Économie et des finances, par le ministre de la justice parce que j'ai eu le courage d'aller devant un tribunal et de dire : « Attention, on ne travaille pas correctement ! ». C'est ce que j'ai dit et avec des preuves et des documents à l'appui !
J'ai fait tout cela et j'ai compris, ensuite, en deux temps trois mouvements, sans avoir la prétention d'avoir assisté à tout dans l'affaire des frégates : Elle a duré dix ans et vous n'êtes pas dans le même poste de banque plus de quatre ans.
C'est d'ailleurs fait à dessein pour vous empêcher de suivre les affaires : Quand vous comprenez une affaire, on vous dégage, et quand vous dites à votre direction : « Attention, cela ne va pas ! », on vous dégage aussi...
Tout est manipulé à très haut niveau et la situation est entre les mains de quelques personnes. Si vous lisez leur jeu, on vous élimine !
M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces précisions très importantes !
M. Joël BUCHER : Excusez-moi d'être si virulent !
M. le Rapporteur : Ne vous excusez pas, mais c'est mon rôle de vous questionner, c'est mon travail !
M. Joël BUCHER : Quand vous m'avez demandé qui était venu me voir, je ne souhaitais pas vous laisser croire que j'avais pu accepter de partir à la dérive malgré la difficulté dans laquelle me mettait la Société Générale. Je n'ai jamais failli !
M. le Rapporteur : Et cela vous coûte cher !
M. Joël BUCHER : Ce n'est pas facile !
M. le Rapporteur : Et maintenant, vous vivez de quoi ? Vous êtes à la retraite ?
M. Joël BUCHER : Bien sûr que non ! De rien ! On m'a tout pris ! Aujourd'hui, on me doit 5 millions de dollars pour avoir travaillé en tant que consultant sur un grand projet pour construire un hôtel d'affaires à Doubaï ce qui m'a pris trois ans : Vous pensez bien que l'on ne gagne pas 5 millions de dollars en 48 heures sur un coup de fil...
Cette somme ne me sera jamais versée. J'ai pris un avocat que je ne peux pas payer. Aujourd'hui, je remonte plusieurs contrats avec le GIAT, avec Panhard, avec des sociétés comme la COFRAS (Compagnie Française d'Assistance Spécialisée) DCI, mais ces gens-là ne veulent pas me payer. Pourquoi ? Parce que je ne leur propose pas de schémas de rétro-commissions ?
Il n'en est pas question : Il n'est pas question que dans les contrats que je fais - je suis peut-être naïf ou idiot - je propose, après ce que j'ai dit à l'AFP, des schémas comprenant des rétro commissions. Je ne veux même pas de commissions pour moi. Je veux travailler honnêtement sur la base d'honoraires.
Je pense qu'aussi longtemps que l'on ne mettra pas en place des organismes travaillant sur honoraires, il y aura des dérives.
M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous transmettre une copie du dossier que vous avez remis au tribunal ?
M. Joël BUCHER : Tout à fait : Le voilà ! Il est très détaillé, très scientifique. J'ai même un dossier qui a été envoyé à l'Assemblée nationale par la DGA.
M. le Rapporteur : Oui nous l'avons reçu !
M. Joël BUCHER : Je vous signale qu'il y a 40 milliards de francs qui concernent Taiwan qui ne figurent que dans un sous-total ce qui est quand même grave ! Envoyer un rapport sans préciser que l'on travaille avec Taiwan, surtout à hauteur de 40 milliards de francs, soit la moitié de l'ensemble du chiffre d'affaires, me semble quand même curieux...
M. le Rapporteur : J'aurai une dernière question à vous poser : lorsque l'argent est arrivé au Luxembourg et à Monaco, vous me confirmez qu'aucun de vos confrères banquiers n'a posé la question de savoir d'où venait cet argent ?
M. Joël BUCHER : Ils venaient nous démarcher et même nous proposer des rémunérations pour leur ouvrir des comptes.
M. le Rapporteur : Au nom du nominee ou du gestionnaire du compte ?
M. Joël BUCHER : Voilà !
M. le Rapporteur : Quels sont les établissements bancaires qui ont démarché ?
M. Joël BUCHER : Beaucoup, notamment les banques suisses.
Taipeh est une réserve monétaire fabuleuse et j'étais l'un des banquiers les plus avertis puisque j'avais personnellement des contacts avec toutes les grandes entreprises du lieu.
Je peux vous dire que la Sogenal était la première à démarcher, suivie par des banques britanniques, des banques autrichiennes et, naturellement des banques suisses. Toutes les grosses banques sont venues nous démarcher, nous, Société Générale. Il faut savoir qu'il y a un important marché interbancaire. J'avais un employé qui ouvrait des comptes, ce que j'ai d'ailleurs fait arrêter. La Société générale avait un énorme bilan interbancaire.
Cette situation qui était aberrante avait été lancée par les Japonais. Deux banques sont capables de vivre seules puisque l'une prête à l'autre et vice versa. Vous pouvez faire du window dressing...`
M. le Rapporteur : Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Joël BUCHER : Que je vous prête de l'argent et que vous m'en prêtez. Comme je vais prendre des intérêts, vous allez faire du profit et moi aussi...
Si, demain, nous faisons cela, nous allons avoir de très beaux bilans. Je vais vous prendre des taux usuraires et vous allez déclarer des profits fabuleux. C'est facile à faire quand on ne vous demande pas de reverser ces profits à des actionnaires... Le jour où c'est le cas, vous montez un « truc bidon » et avant qu'on ne le découvre, il y aura longtemps que, grâce à ce bilan, vous aurez obtenu des fonds. Je peux le faire, si vous voulez. J'aurais pu, si j'avais voulu être malhonnête, gagner beaucoup d'argent en faisant très simplement des montages que vous ne pouvez pas imaginer.
Tous mes collègues m'ont dit : « Joël, dans la banque, aujourd'hui, on ne peut pas s'en sortir si l'on travaille honnêtement ! »
Tous les travaux que l'on me demandait étaient bâtis sur une magouille : Tous sans exception ! Le profit de la banque est proportionnel à la magouille. Plus il y a de magouilles, plus la banque encaisse parce que plus les fonds du client seront douteux et moins il se plaindra.
L'opération « frégates » a rapporté plus d'un milliard de francs à la Société Générale !
M. le Rapporteur : J'aimerais que vous retrouviez dans votre mémoire et que vous nous fassiez passer par écrit le nom des banques qui vous ont démarché pour recycler l'argent de rétro-commissions....
M. Joël BUCHER : Je vais retrouver mon annuaire, mais même la Dun & Bradstreet nous démarchait !
M. le Rapporteur : ... le nom des correspondants avec lesquels vous avez fait ouvrir des comptes à Luxembourg, à Monaco, ou dans les îles anglo-normandes et dans tous les paradis fiscaux européens...
M. Joël BUCHER : Londres, Luxembourg, Monaco : C'était ma filière !
M. le Rapporteur : Je vous saurai gré de bien vouloir nous communiquer ces documents assez vite et je vous remercie infiniment de votre courage en vous assurant du soutien de l'Assemblée nationale.
Si vous souhaitez savoir quel a été l’issue de cette mission d’enquête parlementaire d’une « autre époque », suivez le lien (tant qu’il est encore accessible en ligne)
http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i2311-51.asp
Notez que tout ceci s’est déroulé en plein développement de l’affaire Cleasrtream en cours à l’instruction, dont il ne pouvait être question.
Vous comprendrez bien, par conséquent, qu’on puisse retrouver deux « valeureux et méritants » députés dans les couloirs des ministères, dont l’un brandit l’arme de la nationalisation en « traitant » de noms d’oiseau un industriels impatrié provisoire, c’est manifestement qu’il en a appris des choses sur le fonctionnement du « monde des affaires ».
Parce que lui sait, pour avoir oublié d’être né kon, et avoir auditionné jusqu’aux meilleurs « professeurs » du moment.
C’était ma petite contribution personnelle au « devoir de mémoire » qui s’impose à nous comme toujours plus ardent, me semble-t-il.
Fait en toute bonne foi et sans intention malveillante à l’égard de quiconque : Ce ne sont que des publications officielles de ma République à moi !