Charles DUBOC (1924 – 2003) Flux

Charles DUBOC La vie d’un chef mécanicien à la pêche années 1950-1960

 

Ce texte est celui disponible dans un enregistrement effectué en 2002 à St-Pierre-en-Port.

Mon père raconte sa vie de marin alors qu’il était chef mécanicien sur le Jean Vauquelin, un magnifique chalutier à pêche latérale de 50 mètres.

 

« Deux-Ligny », le chef d’armement, a fait débarquer le moteur. Ce n’est pas rien de débarquer un moteur comme cela, à l’atelier pour le retaper complètement. Refaire des chemises neuves, enfin tout. Réviser l’arbre manivelle. On rembarque le moteur. On trouvait des températures de plus de 400° alors qu’elles n’auraient jamais dû dépasser 360° C - 380°C.  A l’allure normale on tournait à je ne sais pas combien de tours en moins. Je ne trouvais pas. Les pompes étaient décalées. Il avait fait mettre des cales sous les pompes à combustible, mais des cales de 5 millimètres.

En restant en réparation quelques mois après. Il faut que je trouve le truc. J’enlève le carter du bout, les pignons, je prends les points mais hauts. Tu sais le point mort haut d’un cylindre. Je regarde l’arbre à cames. Il y avait des cames de marche avant/marche arrière. Un système deux dents. J’ai trouvé. C’est pas possible, c’est moi qui l’ait régler à l’atelier. « Deux-Ligny » vient à bord. Je lui ai fait voir. Il est reparti. Il y avait bien deux dents d’écart, juste deux dents. J’étais jeune chef débutant.

J’avais six mois de bord… Tu vois. Bof, au fil des années ça s’est arrangé quand même. Je mets tout à mon idée. Je mets l’arbre à cames, les pompes. Puis, je tourne aux réparations (…) « Je vais venir au lancement ». J’ai lancé le moteur comme on le retapait tous les ans. Une fois le moteur parti, il est parti à l’atelier. Il aurait voulu que ça parte pas… Et ça a été. Bien sûr.

Mais ça en fait, c’est les relations humaines. Que tu sois à bord d’un avion ou d’une entreprise. C’est pas toujours facile. Les températures ont chuté de 450° à 500° à la température normale. Mais on a récupéré 25 tours comme ça – c’est énorme- pour la puissance sur le chalut. Tout ça. Alors j’ai envoyé un télégramme (...) Par radio. Voilà. Moteur tant de tours, tant de degrés de température – tout va bien.

Quand tu démontais une culasse. La chemise était fixée sur la culasse. Chemise et culasse dessus, ça se mettait tout d’un bloc. Tu serais tout ça – Burg Meister – refroidi à l’eau de mer. Tous les ans pareil. Des culasses qui pesaient. 2cm de 4 cm de sel dans le haut. Curieux que cela soit venu si tard ce système de refroidissement. Bah, c’était tellement plus simple. Tellement pratique à l’eau de mer. Bah oui. Un système – pas deux- Pas d’échangeur. Oui, c’est vrai. Les premiers échangeurs on a eu des em… Les tuyaux pour les échanges- c’était un faisceau de tuyaux – tu vois –

Oui, l’échangeur il fait deux mètres de long si tu veux. Il fait 60 cm de diamètre au moins et les tuyaux ils ne tenaient pas. Ils ont réussi à faire des échangeurs en cupro-nickel – un alliage cuivre et nickel- là ça tenait mais avant c’était du cuivre !... J’ai vu des tuyaux en cuivre (..) Tu voyais d’un seul coup un jet d’eau, un jet de flotte, c’était un tuyau en cuivre qui venait de casser. Des gros tuyaux en cuivre comme ça. Oui, il y avait de phénomènes d’électrolyse – oui d’électrolyse – Et toujours au même endroit. Ah oui… Même les gros tuyaux devant le moteur, des gros tuyaux comme ça de 10 cm de diamètre. D’un seul coup Pschitt !... Alors j’avais mis (…) On m’avait donné un surnom pour les tuyaux. Je serais le tuyau. Je passais une grosse durite, collier, et là j’étais tranquille. Je ne sais plus comment ils m’appelaient. Il n’y avait que moi qui faisait ça. Ils s’emmerdaient. Cela a duré des années. Et ça ne se faisait pas ailleurs. Juste à cet endroit. Des trucs de 3cm d’épaisseur qui étaient percés (…) J’ai vu démonter ces tuyaux là l’extérieur bien propre. A l’intérieur c’était bouffé…

(Ecrit et mis en ligne au service de neurochirurgie)

 


La vie de Papy (I)

 

Une vie d’officier de la Marine marchande à la grande pêche.

 

J’ai écrit ce texte au début de l’année 2003 alors que mon père, Charles DUBOC, était hospitalisé, tétraplégique, en neurologie, durant cinq mois et demie, à l’hôpital de Dieppe, à la suite à une opération chirurgicale sur une carotide unique.

 

Je commence, aujourd’hui, 10 mars 2003, à écrire la vie de mon père telle qu’il me l’a fait vivre à travers ses nombreuses histoires de marin.

Mon père, Charles DUBOC, est actuellement dans le service de neurologie de l’Hôpital de Dieppe, après avoir passé un mois en réanimation suite à une opération chirurgicale sur la carotide droite.

Son état est très critique, et je sais maintenant que je dois commencer le récit de sa vie, car il est possible qu’il ne puisse plus le faire…

Papi n’avait pas voulu se raconter par écrit.

Je vais le faire, à sa place, dans ce cahier.

Je sais que sa mémoire sera déformée et que malheureusement une partie de ses souvenirs est déjà perdue…

Ce recueil est destiné à Mamie, à mes frères, Alain et Gérard, à ses petits-enfants, Marc, Benoît, Olivier, Marion et Quentin, à tous ses descendants…

Jean-Charles DUBOC

 

La vie de Papi, c’est aussi une partie de la mienne.

Nous étions très proches depuis 1979, date de mon entrée à Air France comme pilote B727, en rentrant du Maroc.

Cela correspondait aussi à la prise de sa retraite de marin, après 41 ans d’activité professionnelle.

J’ai beaucoup reçu de mon père, et notamment son âme de marin qu’il m’a transmise par ses nombreuses histoires vécues.

Cet héritage, je l’ai transformé pour développer le projet Euroclippers dont l’étude vient d’être officiellement lancée par le ministère de l’Industrie et celui de la Justice.

Le projet Euroclippers, c’est aussi celui de mon père.

Les feuilles du cahier original, manuscrit, sont des photos qui représentent l’iconographie de la brochure de janvier 2003.

Les vingt-trois dernières années ont été une période d’échange et d’apports mutuels.

Papi a pris sa retraite en même temps que la famille s’installait en France, à Senlis, au 6 rue du Chat Haret.

Il a pu consacrer une partie de son temps libre à faire de la peinture et de la tapisserie dans la maison, l’Hôtel de Vincheguerre, que je venais de louer.

Il avait notamment installé un filet dans l’escalier pour que son petit-fils, Benoît, ne puisse pas tomber entre les barreaux.

Il avait aussi installé une balançoire dans le jardin, pour les enfants. Cette balançoire était auparavant à Dieppe, au 14 rue du Cdt Emile Duboc, où nous habitions… Papi l’avait fabriquée à bord de son chalutier, pendant le temps libre qu’il pouvait avoir, et j’en avais profité pendant plusieurs années avec mon frère Alain.

Papi est né le 3 juin 1924 à Dieppe, de Charles Jules Henri, son père, et de Berthe Julienne Levannier, née à Champéon en Mayenne.

Il avait été conçu aux Grands Dalles, près de Sassetot-le-Mauconduit, alors que sa mère travaillait dans le village. Son père était patron de pêche, et issu d’une famille de marins-pêcheurs à Terre-Neuve.

Papy était consciencieux, droit avec les autres mais aussi dans son travail.

Il avait commencé à naviguer à 14 ans, en 1938, alors qu’il avait espéré pouvoir embarquer à 12 ans avec son cousin Jean Gueroult, le fils de Georgette, la sœur de son père.

J’ai très bien connu la tante Georgette et son mari Julien qui habitaient la maison aux Grandes Dalles que mon arrière-grand-père avait fait surélever. Elle était très proche de sa sœur Louise, épouse d’André Fiquet, ainsi que de son frère Jules qui avait été capitaine de la vedette des douanes du Havre.

Papi a commencé sa vie de marin en étant mousse à bord d’un chalutier que commandait son père, à Dieppe. Il nous racontait cette terrible épreuve d’être sur le pont, à travailler, alors qu’il faisait jusqu’à – 20° C, lors de l’hiver 1938-39… Il se cachait, les mains gelées, pour ne pas que son père le voit pleurer…

Il avait tant voulu naviguer qu’il ne pouvait pas concevoir d’abandonner…

Pendant ces deux années de navigation, qui furent interrompues par la guerre, il découvrit la machine à vapeur du chalutier. Une vocation de mécanicien naquit, que son père encouragea.

Papy rentra ensuite à l’Emulation Dieppoise, et, après une formation en mécanique, il rentra aux Chemins de Fer, à Dieppe, où il reçut une formation qui lui permit de devenir ouvrier.

Le meilleur ami de son père, M. Saillard, qui était aussi à la SNCF, et dont je me souviens, avait 20 ans de plus que lui ; il lui soulignait qu’il gagnait moins que lui car il était moins qualifié.

Puis la guerre de 1939-45 est arrivée avec son cortège de misères.

Il nous racontait les bombardements qu’il observait du grenier de la maison où ils habitaient, rue Bonne nouvelle au Pollet. Des observations qui se sont arrêtées lorsqu’une bombe est tombée à 50 mètres de chez eux et qu’un morceau du trottoir a traversé la toiture pour atterrir à côté de lui.

C’est ce jour-là qu’il est descendu dans la cave d’une des maisons qui venaient d’être bombardées pour secourir un homme enfoui jusqu’aux hanches dans les décombres.

Il l’a dégagé, puis l’homme s’est enfui en hurlant avant que la maison ne s’effondre ; Papy avait juste eu le temps de sortir.

Son père était là et lui avait "passé un savon" pour avoir risqué ainsi sa vie.

Les activités pendant la guerre tournaient d’abord autour de la survie.

Réquisitionné, il participa à la construction de blockhaus du mur de l’Atlantique dans la région de Quiberville. Il observa d’ailleurs deux chasseurs qui surgirent de la vallée pour mitrailler deux vedettes allemandes au large de la plage. Elles furent détruites et sombrèrent.

Il se déplaçait en vélo avec une petite remorque pour se ravitailler dans la campagne et faire un peu de "marché noir"… Ils avaient la grand-mère Letellier à charge. Il allait avec sa mère chercher du charbon tombé des wagons et qui était tassé dans les rails sur le port. Pas facile de se chauffer !...

Son père refusa de travailler pour les Allemands mais il s’y résigna au bout de deux ans par manque de moyens, de nourriture… Il avait armé un petit bateau de 12 mètres qui lui permettait de sortir du port de Dieppe et de pêcher au large des jetées, tout en étant surveillé par l’occupant…

Papi avait été attrapé lors d’une rafle destinée à fournir de jeunes Français au STO (service du travail obligatoire) afin de fournir une force de travail aux usines allemandes. Il ne dû son salut qu’à un officier qui logeait dans la même maison que lui et l’avait reconnu puis fait libérer…

Papy était courageux. Il avait coupé le câble des transmissions de la Kommandantur qui était installée au Château de Rosendal… Un acte de résistance qui lui aurait valu une exécution immédiate ou la déportation dans un camp de concentration s’il avait été pris.

Les nouvelles de la France Libre étaient reçues grâce à un poste à galène que Papi avait fabriqué.

 

A 50 mètres de leur modeste trois pièces se trouve la Cité Bonne Nouvelle, l’une des premières habitations HLM de Dieppe, où habitaient mon grand-père maternel, sa femme, et ses cinq enfants.

Celle qui allait devenir se femme était la meilleure amie de sa sœur et l’après-guerre allait les rapprocher.

Le grand-père maternel avait renforcé sa cave pour qu’elle supporte les bombardements assez fréquents compte-tenu de la proximité immédiate des chantiers navals.

Peine perdue !... Un jour une bombe est tombée à 20 m de chez eux et a tué les habitants et totalement détruit leur maison.

La famille a alors déménagé dans une grotte de la falaise, une « Gobe », où 30 mètres de craie les protégeait. Des conditions difficiles où la promiscuité régnait et s’ajoutait aux difficultés du ravitaillement.

 

La mère de Papy est morte en 1942 d’un cancer, après de longs soins qui ont vidé les économies de la famille…

Après la guerre, Papy s’est engagé dans la Marine Nationale, chez les Fusiliers-marins, en tant qu’électricien. Il a été formé à Greenock (Ecosse) sur le porte-avions Arromanches puis il est parti en Indochine, l’actuel Vietnam. Le confort était limité à un hamac par personne, un standard de l’époque, mais très amusant pour se balancer…

Papy a gardé un bon souvenir de la Royale bien qu’il n’eut jamais l’esprit militaire. Il a passé une année en Indochine pour faire face à l’invasion chinoise et avait été volontaire pour être affecté sur les barges de débarquement qui remontaient les fleuves. Il avait été le seul volontaire pour cette mission et était fier d’avoir eu la vedette du commandant à sa disposition pour débarquer…

Il avait été sérieusement malade et avait gardé pendant plusieurs années un paludisme. Il était chargé de l’entretien électrique des bases de la Marine et des barges de débarquement.

Il nous racontait son dépannage d’une ligne téléphonique, grimpé en haut d’un poteau électrique en entendant les balles qui sifflaient autour de lui, et sans le réaliser immédiatement, son dépannage du moteur d’une barge, isolée sur une île, sans moyen pour remplacer la tête Delco rongée par l’humidité en la recouvrant d’une couche de verni après l’avoir fait sécher.

Papy nous racontait la chance qu’il avait eu de n’avoir pas pris son fusil et d’être dans l’incapacité d’être volontaire pour effectuer un réglage de tir au canon de Marine. Son remplaçant avait été tué.