Les « écololo-gaulois » me font rire !
Bilderberg, club secret des «maîtres du monde» (II)

Bilderberg, club secret des «maîtres du monde» (I)

 

Quotidien N° 142 du 26/09/01. 

120 personnalités mondiales, dont le conseiller fédéral Pascal Couchepin et Daniel Vasella, le patron de Novartis, se sont réunies. Dans un très discret palace suédois.

Reportage par Roland Rossier

 

Stop.On ne passe pas. Interdit. «Förbjuden», en suédois. Pourtant, un curieux bonhomme portant un chapeau en feutre qui doit dater de la guerre froide tente d'accéder à l'intérieur du Quality Hotel Stenungsbaden, un palace situé à proximité de Göteborg. Peine perdue: l'hôtel a été entièrement loué. L'homme hésite un moment avant de rebrousser chemin. Mais pourquoi cet établissement balnéaire est-il aussi bien gardé que Fort Knox? Pourquoi ces grilles métalliques, cette armada de securitas, ces patrouilles de motards, ces hommes costauds en costume noir, les yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil, ces maîtres chiens, ces garde-côtes, cet hélicoptère? Quelles personnalités peut-il bien protéger? Abrite-t-il vraiment, comme le dit la rumeur, les «maîtres du monde»? Durant quatre jours, du 24 au 27 mai, le Club de Bilderberg s'est mis au vert dans la plus grande discrétion. Enfin, presque: cette débauche de moyens de sécurité a fini par alerter la presse locale. Bilderberg? Ce mystérieux organisme regroupant une centaine de leaders planétaires se réunit chaque année depuis 1954, sous les auspices de trois personnalités d'envergure mondiale: le richissime homme d'affaires américain David Rockefeller, le président de Fiat Giovanni Agnelli, l'ex-secrétaire d'Etat Henry Kissinger. La liste des invités tient du bottin de l'élite politico-économique mondiale: des grands patrons comme l'Allemand Jürgen Schrempp (DaimlerChrysler), le Suisse Daniel Vasella (Novartis), le Finlandais Jorma Ollila (Nokia), l'Américain Steve Case (AOL Time Warner), le Français Bertrand Collomb (Lafarge, numéro un des ciments), le Suédois Percy Barnevik (patron d'Investor, le bras financier de la puissante famille Wallenberg, sponsor de la réunion de Göteborg); des hommes politiques comme le Britannique Kenneth Clarke, chancelier de l'Echiquier (ministre des Affaires étrangères), le conseiller fédéral Pascal Couchepin , le ministre suédois de l'Economie Leif Pagrotsky, les sénateurs américains John Kerry ou Chuck Hagel; des éditeurs comme Katherine Graham («The Washington Post», «Newsweek») ou Conrad Black, le magnat de la presse canadienne. On y croise aussi des banquiers comme Karl Otto Pöhl (ancien président de la Bundesbank), James Wolfensohn (président de la Banque mondiale), Jean-Claude Trichet (gouverneur de la Banque de France), Michel Camdessus (ex-patron du FMI). Et même des têtes couronnées comme les reines Sophie d'Espagne ou Beatrix de Hollande. Toutes ces personnalités sont-elles réunies pour deviser des affaires du monde? Faute d'information officielle, seules des bribes s'échappent de ces réunions secrètes. Selon le quotidien suédois «Expressen-GT», les participants ont abordé cette année des questions aussi sensibles que la crise alimentaire, l'élargissement de l'Europe, l'avenir de l'OTAN et les projets militaires des Etats-Unis, l'arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi en Italie, les relations avec la Chine et la Russie. Excusez du peu. «Bilderberg n'est pas un club secret, c'est un club privé», a répondu un membre de l'organisme à un journaliste. Privé? Alors pourquoi des personnalités publiques s'y rendent-elles? Pourquoi, selon «Expressen-GT», 123 policiers - dont 10 accompagnés de chiens - ont-ils quadrillé le secteur? «Nos forces de police ont surtout été regroupées dans cette zone pour contrôler les excès de vitesse des citadins qui partent durant le week-end de l'Ascension», nous assure sans rire le porte-parole de la police municipale. Avant d'admettre que «la réunion de Stenungsbaden pose problème. Des skinheads veulent la perturber».

 

Rumeurs et fantasmes

«Nous ne sommes pas des comploteurs», nous a juste lâché Daniel Vasella avant de s'y rendre. On imagine effectivement mal toutes ces personnalités fomenter quoi que ce soit. Mais le secret excite la curiosité. Le mutisme affiché par le Club de Bilderberg alimente la machine à fantasmes. Toutes sortes de rumeurs courent sur son compte: son fondateur, le prince Bernard de Hollande, a été éclaboussé dans le cadre de l'affaire Lockheed (une vaste trame de pots-de-vin centrée sur ce fabricant américain d'avions militaires) et c'est en raison de ses ennuis que le club ne s'est pas réuni en 1976. Pire: le journal de gauche britannique «Big Issue» affirme que, au cours d'une réunion, des officiels de l'OTAN auraient décidé de laisser la Russie bombarder la Tchétchénie. Jim Tucker, un journaliste américain proche du nationaliste Pat Buchanan, assure de son côté que «les dirigeants de Bilderberg ont déstabilisé Margaret Thatcher, car elle était opposée à l'euro». Le club comprend un comité directeur, longtemps présidé par lord Peter Carrington, ex-secrétaire général de l'OTAN, un conseil d'une dizaine de sages (dont David Rockefeller et Giovanni Agnelli) et un conseil de représentants des principaux pays occidentaux. Ces représentants ont le droit d'inviter deux autres personnes. Le cocktail idéal est: un ministre ou homme politique de haut rang, un industriel ou banquier, un «intellectuel» (professeur, journaliste). La Suisse compte au moins un membre qui, avec les années, devient en quelque sorte titulaire d'une «chaire». Ces dernières années, elle a été occupée par l'ex-conseiller fédéral Flavio Cotti, le diplomate et homme d'affaires David de Pury et, aujourd'hui, le patron de Novartis Daniel Vasella. Directeur du «Temps Stratégique», Claude Monnier a participé à une réunion de Bilderberg: «J'y avais été invité par un dirigeant de Ciba-Geigy, en qualité de rédacteur en chef du "Journal de Genève". La rencontre avait eu lieu en 1974 à Megève, dans la propriété du banquier Edmond de Rothschild.» Le journaliste en conserve à peine le souvenir: «J'étais assis à la table des délégués allemands et je me suis trouvé une fois à côté de Walter Mondale, futur vice-président des Etats-Unis.» Claude Monnier ignore qu'il a peut-être déjeuné en compagnie d'un jeune député devenu aujourd'hui chancelier de l'Allemagne: Gerhard Schröder. Un des buts poursuivis par l'organisme est de sensibiliser les hommes politiques en devenir aux besoins de l'économie, de la grande industrie et du système financier international. Bill Clinton y a fait un saut en 1991, juste avant d'accéder à la présidence des Etats-Unis. Le Français Patrick Devedjian, étoile montante du RPR, ainsi que Tony Blair, ont assisté à la réunion de 1993.

 

Omerta de rigueur

«Nous ne croisons pas tous les jours dans l'ascenseur le patron de DaimlerChrysler», a confié à un journal suédois le ministre de l'Economie Leif Pagrotsky. Le conseiller fédéral Pascal Couchepin en tire également un bilan positif. Ancien président du CICR, Cornelio Sommaruga ne s'y est rendu qu'une seule fois, à Toronto en 1996: «J'ai été invité à cinq ou six reprises, mais j'ai toujours favorisé l'agenda du CICR.» L'actuel patron de l'organisation humanitaire, Jakob Kellenberger, avait assisté à la réunion d'Athènes, en 1993, alors qu'il était secrétaire d'Etat au Département des affaires étrangères. Avait-il été invité ou a-t-il choisi, comme d'autres personnalités, de payer les frais de sa poche? Jakob Kellenberger n'a pas voulu répondre aux questions de «L'Hebdo». De son côté, l'éditeur Michael Ringier (lequel publie notamment notre magazine), qui a participé à la réunion de Baden-Baden en 1991, tient à respecter la «confidentialité de ce sujet». Les participants sont tenus à un devoir de discrétion: le nom des intervenants n'apparaît dans aucun procès-verbal interne. Tant Cornelio Sommaruga que le professeur genevois Curt Gasteyger (qui a participé à deux réunions) défendent ce système: «Les participants s'expriment plus librement en sachant que leurs propos ne risquent pas de faire la une des journaux du lendemain.» Commissaire européen à la concurrence, l'Italien Mario Monti a admis, pressé par une députée verte irlandaise, avoir été membre du club de 1983 à 1993. Son compatriote Renato Ruggiero, ex-directeur général de l'OMC, en a aussi fait partie. Est-ce par hasard si deux des principales figures de Bilderberg, Giovanni Agnelli et Henry Kissinger, multiplient aujourd'hui les démarches pour que Silvio Berlusconi nomme Renato Ruggiero au poste de ministre des Affaires étrangères? Que cherchent les membres de ce Rotary planétaire? Le pouvoir? Les dirigeants de Bilderberg n'ont pas choisi au hasard la paisible cité de Göteborg pour se réunir. Dans quelques jours, la seconde ville suédoise accueille le sommet de l'Union européenne. Pour la police suédoise, la réunion de Stenungsbaden a servi de répétition générale. Quant aux dirigeants du Club de Bilderberg, traqués par les anti-mondialisation, ils ont désormais le choix entre la peste - s'ouvrir à la presse et se banaliser - et le choléra - rester secrets en risquant d'attiser les rumeurs de complot qu'on leur prête. Dans la confidence... Le club a été fondé en 1954 à l'Hôtel de Bilderberg (Pays-Bas) par le prince Bernard de Hollande, qui désirait créer un «club de réflexion» composé d'hommes politiques, d'industriels, de banquiers et de patrons de presse. Le club s'est réuni en Suisse à quatre reprises. Flavio Cotti (1994 à 1997), David de Pury (1996 à 2000) et Daniel Vasella (1998 à 2001) en ont été les plus assidus. Baden-Baden (Allemagne, 1991): Michael Ringier (Ringier AG). Athènes (Grèce, 1993): Jakob Kellenberger (DFAE), David de Pury (co-président d'ABB), Robert Jeker (CS). Helsinki (Finlande, 1994): David de Pury, Stephan Schmidheiny, Flavio Cotti. Zurich (Suisse, 1995): Walter Frehner (SBS), Hans Heckmann (UBS), Joseph Ackermann (Crédit Suisse), Flavio Cotti, Jean-Pascal Delamuraz, Fritz Gerber (Roche), Alex Krauer (Ciba), Helmut Maucher (Nestlé), Klaus Schwab (Forum de Davos). Toronto (Canada, 1996): Flavio Cotti, David de Pury, Cornelio Sommaruga (CICR). Lake Lanier (Etats-Unis, 1997): Flavio Cotti, David de Pury, Hugo Bütler («Neue Zürcher Zeitung»). Turnberry (Ecosse, 1998): David de Pury, Daniel Vasella (Novartis). Sintra (Portugal, 1999): David de Pury, Daniel Vasella. Bruxelles (Belgique, 2000): David de Pury, Daniel Vasella. Göteborg (Suède, 2001): Daniel Vasella, Pascal Couchepin.

 

Source : http://www.europe1.fr/politique/bilderberg-la-mysterieuse-reunion-des-maitres-du-monde-1354070

Commentaires

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i-Cubre

Pas mal et très complet...

Bien à vous !

I-Cube

JEAN-CHARLES DUBOC

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