La vie de Papy (I)
Lettre d’un vétéran des OPEX à Michel SAPIN

70 ème anniversaire du D-Day

 

 

Omaha

 

Je m’appelle Mike. Je viens de Virginie, et je vais peut-être mourir en Normandie, une région dont je connaissais à peine l’existence jusque-là. Je me suis porté volontaire pour servir à la 29e division d’infanterie. Je cherchais l’aventure, je voulais combattre les Nazis.

Maintenant, dans le bateau Higgins qui m’amène avec mes camarades, mes frères, vers Omaha Beach, le drapeau, la liberté, je n’y pense plus.

Quant à l’aventure même, j’ai des doutes. J’espère juste faire mon boulot, être à la hauteur et survivre. J’ai confiance en moi, dans mes camarades, dans mes chefs de la 2e section.

Dans l’immédiat, je n’ai qu’une envie, c’est quitter ce bateau qui tangue et les paquets d’eau glacée qui me fouettent le visage. J’ai l’impression d’être dans la salle d’attente du dentiste.

Tout vaut mieux que d’attendre ainsi depuis des heures. J’ai le ventre noué. Je n’ai pas la place pour vérifier à nouveau mon fusil Garand que je protège comme je peux de l’eau. J’essaie de me calmer en fantasmant sur mon action sur la plage.

La zone de mort est devant nous. Son mur est invisible mais nous le sentons de plus en plus dense. Notre corps commence à se transformer. J’ai soif, j’ai envie d’uriner. Je sais que mes pupilles grossissent. Le sergent nous a expliqué que cela aurait pour effet, avec le tassement des épaules, à nous faire tirer trop haut.

Le temps s’étire. Nous pénétrons dans un autre univers. Il reste quelques centaines de mètres avant le rivage. Le barreur anglais du bateau n’est visiblement pas très chaud pour s’approcher encore. Je peux voir le sergent s’approcher de lui et le menacer de son Colt.

Nous nous approchons encore. Ce qui me frappe alors c’est le bruit. Il y bien quelques explosions autour de nous mais surtout j’ai l’impression que nous entrons dans un tambour géant.

C’est l’effet du frottement sur l’air des milliers de balles des mitrailleuses allemandes MG42 qui passent près de nous à une vitesse supérieure à celle du son. C’est écrasant. 

C’est le moment. La rampe du Higgins descend. Certains sautent dès qu’ils peuvent.

Un homme trébuche devant la rampe qui le percute en tombant et lui fend le crâne. C’est le premier mort de la section. D’autres viendront. Nous avons de la chance, nous n’avons de l’eau que jusqu’aux chevilles.

La première vague a dû pratiquement nager jusqu’au rivage, sous le feu des bunkers dont visiblement aucun n’a été détruit par les bombardements préalables.

Cette première vague, nous la voyons allongée sur le sable portée par la marée qui monte et entasse les hommes noyés ou abattus en sortant des barges. Je vois des membres coupés. Des visages crevés. Ces images d’horreur, mon cerveau les enregistre dans tous leurs détails et je sens qu’elles resurgiront.

Et puis mon cerveau passe à autre chose. Il obéit maintenant à un nouvel ordre d’urgence des sentiments.

Nous nous ruons en avant, derrière le lieutenant, vers le talus de galets à 300 m de là, seul abri sûr de la zone et déjà passablement occupé.

Nous courons dans le sable, entre les corps, les hérissons métalliques et les équipements qui traînent sur le sol. Jesse Owens mettrait une trentaine de secondes, j’ai l’impression de mettre des heures face à des mitrailleuses qui peuvent lancer 1 000 cartouches par minute.

Au roulement de tambour s’ajoutent maintenant des sifflements très déplaisants. Il paraît que c’est le cône de vide derrière la balle qui provoque ça. Cela signifie surtout que cela passe très près. Plus rien n’existe que le mur de galets devant lequel je finis par m’affaler.

Le champ de bataille se rétrécit alors d’un coup. Je fixe un instant un casque abandonné. Je perçois que l’air non plus n’est plus le même. C’est un mélange d’odeurs de mer, de poudre, de terre remuée peut-être. Je suis dans un film expressionniste en couleur, avec des dominantes de vert, de gris et de rouge.

Je dois absolument faire quelque chose, n’importe quoi mais je n’arrive pas à me décider. J’attends un ordre, n’importe lequel.

Mon voisin ouvre le feu par-dessus le talus de galet. Je l’imite. Je tire, très vite, sans prendre la visée ni retenir ma respiration comme à l’entrainement. J’ai tiré sur le bunker au sommet du talus qui nous surplombe, sans voir personne.

Tirer me rassure, me donne le sentiment que je peux faire autre chose que subir cet enfer. Mon cerveau fonctionne très vite maintenant. Je perçois maintenant très précisément le cliquetis des étuis de 30-06 et des clips de chargement éjectés sur les galets. 

Il est 9h30. Cela fait trois heures que le combat a commencé sur Omaha Beach. Je recommence à tirer, en prenant soin de sortir ma tête d’un endroit différent à chaque fois.

Devant nous, entre la levée de galets et la pente abrupte, il y a encore 200 mètres d’herbe et de sable.

On distingue un chemin qui mène au sommet. Des sapeurs et des fantassins sont couchés devant les barbelés et essaient d’y introduire des bengalores, ces longs tubes remplis d’explosifs.

Le lieutenant nous ordonne de tirer sur le bunker à droite du chemin. A son signal, nous montons jusqu’au sommet des galets et faisons feu. Nous voyons les gars qui grimpent vers le sommet.  Le lieutenant hurle de cesser le feu pour ne pas risquer de les toucher et de nous préparer à avancer aussi.

En avant ! Nous montons maladroitement au-dessus des galets. Le tir allemand est plus sporadique. Le déplacement dans les herbes et le sable est pénible. J’avance les dents serrées. J’ai peur que le courage inconscient qui m’anime ne s’échappe par ma bouche. Je suis tendu vers cette fameuse piste.  Le passage est étroit. Le sergent est arrivé avant nous et nous guide à l’entrée.

Nous obéissons comme des automates. Nous grimpons jusqu’au plateau. Une section, ou ce qu’il en reste, est plus en avant, couchée face au découvert. Il y a un village plus loin. A notre gauche, une autre section entreprend de nettoyer des bunkers. Nous recevons la même mission pour la position de droite.

Cette fois, c’est nous qui avons l’initiative. Les tirs allemands ont presque cessé. Nous pouvons avancer comme à l’exercice, par petit bond, en nous appuyant mutuellement. Nous sautons dans une tranchée bétonnée. Mon fusil Garand est un peu encombrant mais je peux tirer dans l’entrée pendant que le sergent s’approche et y lance une grenade.

Explosion. Je me lève sans réfléchir et fonce derrière lui dans le bunker. Nous ne voyons rien, l’explosion a soulevé de la poussière. Une odeur âcre me saisit. J’entends le sergent qui tire une rafale de Thompson. La poussière se dissipe un peu. Il n’y a personne. Ils ont évacué la position avant notre arrivée. Je n’aurais pas vu un ennemi de tout le combat.

Nous ressortons du bunker. Les Allemands ont paraît-il l’habitude de contre-attaquer après avoir perdu une position. Nous ne devons pas nous relâcher.

Pourtant, je comprends que le plus dur est fait et qu’a priori je survivrai à cette journée sans une égratignure. La section finit de se regrouper. Nous ne sommes pas plus d’une vingtaine sur les 38 qui ont débarqué du Higgins. Je commence à me demander pourquoi, moi, j’ai survécu.

De là où je suis, je peux voir toute la plage. La mer est couverte de bateaux. Le ciel est rempli de ballons, que je remarque pour la première fois.

La place est pleine d’hommes, les cadavres que l’on regroupe, les blessés qui sont soignés sur place ou évacués, les colonnes de ceux qui débarquent encore.

Des bateaux éventrés, des chars engloutis, un désordre inouï mais le sentiment de faire partie d’une machinerie d’une immense puissance.

Je sens que la zone de mort, cette bulle d’extrême violence qui s’ouvre parfois dans le monde normal des hommes, est en train de se refermer. Je sors sans bouger d’un endroit où, par tous mes sens, il m’a fallu en quelques minutes absorber les émotions de toute une vie. 

 

Source :

http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2014/06/omaha.html?spref=fb

 

 

Terriblement émouvant.

Cela nous rappelle le sacrifice de tant de jeunes hommes, venus mourir en Normandie pour que nous soyons libres et débarrassés des hordes nazis qui avaient mis à feu et à sang l’Europe, la Russie, l’Ukraine, le Proche-Orient et l’Afrique du Nord.

En sommes-nous dignes ?...

Je me pose cette question parce que le site, sur lequel vous êtes, a été créé pour dénoncer le détournement par François Mitterrand des 3,5 milliards de dollars des indemnités de la guerre du Golfe virés à la France par le Koweït, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, au titre des frais de guerre de la Division Daguet.

Un scandale absolument inadmissible qui signifie que notre pays est devenu un totalitarisme mafieux.

En effet, le premier des élus, le Président de la République, a pu dérober en toute impunité des milliards car il savait que tous les contre-pouvoirs allaient s’effacer…

Ceux qui ont voulu parler, comme Pierre Bérégovoy, François de Grossouvre ou le journaliste Jean-Edern Hallier, se sont suicidés ou ont eu un accident…

Pouvons-nous tolérer cela ?....

La réponse est non.

Un tel niveau de corruption, de perte de l’intérêt général, ne peut que provoquer progressivement un effondrement du pays.

Nous y sommes.

Le Front National, est devenu le premier parti de France.

La porte est ouverte pour l’évolution de notre société vers un totalitarisme d’extrême droite ; une nouvelle peste brune risque de s’installer chez nous avec les moyens technologiques de surveillance et de contrôle du XXIème siècle.

Il y a 70 ans, nous avons échappé au totalitarisme « national-socialiste » par le sacrifice d’une multitude de soldats, de civils, mais, malgré tout, nous avons pris le chemin d’une nouvelle dérive totalitaire.

Indignes ?...

Oui, indignes…

Cette situation nous rend indignes du sacrifice de leur vie que tant de jeunes américains, britanniques, irlandais, canadiens, français, ont fait il y a sept décennies…

 

 

Je me sens infiniment triste.

 

Jean-Charles DUBOC

 

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